Au début d'une nouvelle Histoire
[8 janvier 2024] - René Dzagoyan

A l’heure où s’écrivent ces lignes, deux lueurs d’espoir éclairent le ciel lourd de menaces qui couvre l’Arménie depuis trois ans. Malgré la crainte d’une nouvelle offensive azérie, et peut-être à cause d’elle, la Diaspora a encore une fois confirmé sa solidarité inconditionnelle avec sa population-sœur. Ensuite, l’annonce de la libération des prisonniers par Bakou, signes précurseurs, assurent les experts, d’une paix imminente, mais encore incertaine. Aussi, maintenant que se sont tus les murmures du Phonéthon, se posent à nouveau les deux lancinantes questions : que nous réserve l’Arménie de demain ? Et que faire l’an prochain ?

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Photo : Shutterstock-Keshishyan Avetis

Nous avons toutes les raisons de renouer avec l’optimisme. D’abord, au vu de la permanence de la solidarité de la Diaspora. Avec près de 2,3 millions € collectés au Phonéthon 2023, le niveau de confiance en l’action du Fonds Arménien de France et en sa gestion a augmenté de 750 000 €. Nul besoin de déclarations d’estrade ni d’effets d’annonce. Les faits ont parlé pour eux-mêmes. Dès les premières heures de l’exode des Artsakhtsis, les permanents et les bénévoles du Fonds les attendaient près de la frontière avec des produits de première nécessité. Simultanément, le Fonds a déclenché des actions de relogement, particulièrement dans le Syunik, et a mis en place un programme de réinsertion professionnelle, notamment dans l’agriculture. C’est ce programme qui sera au cœur de ses actions 2024, inscrivant ainsi l’établissement des réfugiés dans un long terme, programme qui conciliera la dignité des personnes avec la productivité du pays. Loin d’en faire des exilés subventionnés, les réfugiés seront demain des citoyens maîtres de leur destin.

Autre raison d’optimisme, la réinstallation des réfugiés sera d’autant plus aisée que l’économie arménienne continue sur la lancée de sa croissance, avec +11 % en 2023 selon Bercy, le ministère des Finances français, et voit son budget 2024 augmenter de 13,8 %, situation paradoxale d’un pays isolé et en guerre, qui s’explique par les investissements étrangers, notamment russes, qui viennent trouver refuge dans un Etat au système bancaire fiable et une administration fiscale nettoyée de son ancienne corruption. Soulignons ici que les start-upers moscovites ne vont s’installer ni en Azerbaïdjan ni en Turquie, ce qui dénote, pour le moins, le degré de confiance dans la qualité des services économiques qu’offre l’Arménie, confiance qui, si elle devait s’accroître et se consolider, n’interdirait pas de rêver à l’Arménie comme à une Suisse du Caucase, avec ses vaches et avec ses banques…

Mais contrairement à la Confédération helvétique, si Erevan ne manque pas de banques, en revanche l’Arménie manque de vaches, du moins d’une agriculture moderne. D’où la nécessité d’investir encore et toujours dans des fermes modèles, d’une part, et dans la formation des jeunes agriculteurs qui les piloteront, d’autre part. Et donc la nécessité de continuer dans l’orientation de la ferme du Tavush et de pérenniser le Lycée Agricole Patrick Devedjian, tous deux soutenus par le Conseil départemental des Hauts-de-Seine. D’où encore les investissements du Fonds Arménien dans les pépinières et la distribution de plants d’arbres fruitiers et de légumes aux paysans installés dans les villages frontaliers. Car on l’oublie trop souvent, malgré une capitale surpeuplée, avec 30 % de sa population vivant de l’exploitation de la terre, (comparé à 1,5 % en France et 2 % en Allemagne), l’Arménie est encore un pays agricole. Si les minéraux et les pierres précieuses comptent pour une bonne part des exportations, l’export des produits alimentaires tient une part importante : 16 %, dont le potentiel est loin d’être épuisé. Ce qui explique l’effort soutenu du Fonds Arménien dans le domaine agro-pastoral, tant dans le domaine de la production que dans celui de la formation.

La pérennité de l’Arménie, pour ne pas dire son existence même, est d’autant plus cruciale que son importance dépasse aujourd’hui son cadre régional. La politique de nettoyage ethnique pratiquée par l’Azerbaïdjan, et ses menaces d’effacement de la carte de la République arménienne, ont fait ressurgir le spectre d’un nouveau génocide, avec, encore une fois, la Turquie à la manœuvre. Cette même politique a remis à l’ordre du jour le rêve d’une continuité territoriale pantouranienne, allant de la chaîne du Tian Shan au Bosphore, avec ses débordements en Syrie, en Irak et en Méditerranée. La disparition de l’Arménie aurait été le prélude à un des bouleversements les plus sanglants et des plus inutiles de l’Histoire. Le monde occidental ne pouvait se permettre de cacher un nouveau cadavre dans son placard, selon l’expression de Jaurès. Aussi le nettoyage ethnique de l’Artsakh a-t-il suscité l’indignation de tout le monde civilisé. En France, la Fondation de France, l’œuvre d’Orient, le Secours Catholique se sont mobilisés, tandis que toutes les institutions internationales, de l’UNHCR au Conseil de l’Europe, en passant par le Parlement européen, ont soutenu l’Arménie et ses réfugiés en condamnant l’Azerbaïdjan. Devant l’évidence soudain criante de son importance géopolitique, l’Arménie, minuscule confetti de pierres perdu entre les monts du Caucase, est devenue l’un des enjeux majeurs de la diplomatie mondiale. La France même, dont la diplomatie pro-ottomane remonte pourtant à François 1 er , s’est proposée d’être le nouveau et premier partenaire de l’Arménie, diplomatiquement et militairement, en donnant aux belles paroles la forme incontournable d’engins blindés, de matériels anti-drones et d’instructeurs. Ce dont la Diaspora arménienne de France ne l’a pas encore officiellement remercié. Mais il n’est pas trop tard. Si la Turquie et l’Azerbaïdjan sont une Nation en deux Etats, la France et l’Arménie sont désormais deux Nations unies par des liens de fraternité. Et nous ne perdons pas au change. Grâce à l’amitié du Pays des Lumières, l’Arménie va pouvoir sortir plus facilement de l’obscurantisme moyenâgeux des pays qui l’entourent.

Aujourd’hui, nous les Arméniens de la Diaspora, sommes coresponsables de son existence. Plus que la France, plus que l’Occident, nous sommes comptables devant l’Histoire de sa survie, de ses progrès et de son rayonnement. La paix, si elle vient, ne sera pas seulement la fin de la guerre. Elle sera le début d’une nouvelle Histoire.

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