Les Actus
Témoignage de guerre
de Jean-Christophe Buisson
Directeur-adjoint du Figaro Magazine
[13/11/2020] – Fonds Arménien de France
« Six jours sur la route qui mène de Goris à Stepanakert et dans les villages le long de la frontière sud entre l’Arménie et l’Artsakh conquise par les azéris. Les six derniers jours de la guerre. Trop peu pour tout entendre et tout voir, mais assez pour témoigner de la détresse, du traumatisme et de l’effroi de ceux qui avaient le malheur de n’être ni des soldats professionnels, ni des mobilisés, ni des combattants volontaires : des civils.
Des hommes, des femmes, des enfants, des agriculteurs, des bergers, des artisans, des retraités qui ont tout laissé derrière eux : leurs fermes, leurs maisons, leurs églises, leurs morts, leurs souvenirs, leurs illusions, leur patrie.
Quand je les ai rencontrés, hébergés gracieusement dans des petits hôtels de Goris ou à Erevan, je n’ai vu que cela dans leur regard : une souffrance enrobée d’un cercle doré de dignité.
Parmi tous leurs récits, je n’oublierai jamais les mots de Julietta me racontant (en russe) le bombardement de Chouchi qu’elle avait dû quitter « sans savoir où aller », après des jours dans des caves inondées, auprès de familles refusant de partir pour rester près de leurs frères, de leurs neveux, de leurs enfants en train de se battre sur le front. « Pour aller aux toilettes, il fallait faire 300 mètres pour rejoindre un autre bâtiment. Donc risquer sa vie… »
Julietta était musicienne et elle pleure sa guitare oubliée là-bas. Elle sursaute à chaque bruit dans la rue, qui lui rappelle les explosions de bombes et de missiles.
Elle ne (se) pose qu’une question : comment allons-nous reconstruire notre pays ?
Moi, je me pose une autre question : comment elle et les 100 000 autres déplacés Arméniens de l’Artsakh vont-ils se reconstruire, eux ? »