Les Actus
Pour une contribution volontaire
de la diaspora
[08/06/2022] – René Dzagoyan
L’Azerbaïdjan a lancé une vaste campagne diplomatique et médiatique contre le Fonds Arménien. Dans un texte mis en circulation au sein de l’ONU en décembre 2021, le gouvernement azéri s’est livré à une charge en règle contre le Fonds, l’accusant notamment de financement du terrorisme, de blanchiment d’argent sale et de corruption. Pas moins.
Ce rapport vise à soutenir les demandes de l’Azerbaïdjan auprès de différents pays afin qu’ils interdisent l’activité du Fonds Arménien sur leur territoire et ferment l’accès aux banques pour les transferts de fonds. Il demande également aux plateformes utilisées – comme AmazonSmile – de prohiber leur accès aux donateurs du Fonds. Curieusement, le rapport ne demande pas à l’ONU l’incarcération immédiate et la traduction devant la Cour Pénale Internationale des centaines de milliers de donateurs et de bénévoles du Fonds pour avoir commis tous ces délits…
Un oubli sans doute…
Réalisé probablement par des sociétés payées à cet effet, le rapport azéri fourmille de détails « inédits », comme les dates de la collecte de 2020, du 27 septembre au 10 novembre (« guerre des 44 jours ») et le montant exact, 170 millions USD (publié par le Fonds Arménien lui-même). On y apprend encore que 73 pays y ont participé et huit autres fondations s’y sont associées. Enfin, neuf banques dans le monde auraient permis le transfert des fonds (neuf banques seulement pour 73 pays) ? A ce propos, permettez-nous, chers rédacteurs du rapport azéri, de rectifier certaines approximations comme celle de la note 1 de votre page 2 : le Fonds Arménien a 24 branches dans le monde et non pas 16. A l’avenir, envoyez nous vos rapports avant de les publier ; on les corrigera volontiers…
Comme il se doit, le rapport bakinois a été relayé par le site web National Intrest, fort connu à Washington pour sa propagande néoconservatrice et dont le style de publications ressemble comme deux gouttes d’eau au rapport sur le Fonds Arménien. A notre connaissance, ce site web n’a pas été relayé par d’autres sites. Sans doute fallait-il encore payer : ce sera peut-être fait. Dieu merci, le Fonds Arménien n’a pas besoin d’embaucher des officines à prix d’or pour dénoncer la corruption, les crimes contre l’Humanité et l’utilisation des mercenaires de Daesh en Azerbaïdjan. La presse libre et l’opinion internationale s’en chargent.
La campagne de dénigrement déclenchée par l’Azerbaïdjan contre le Fonds Arménien est, à notre connaissance, une « première » : aucune autre organisation arménienne n’a été jugée digne de telles attaques à ce jour par le régime d’Ilham Aliev. Elle apporte ainsi une sorte de « preuve par l’adversaire » de l’importance de la mobilisation diasporique pour l’Arménie. Bakou l’a bien compris. Ce rapport a en effet le mérite de faire apparaître les trois atouts majeurs de la Diaspora : le premier, sa capacité à se mobiliser rapidement et massivement. La collecte organisée durant la guerre a permis de réunir en moyenne 3,8 millions USD par jour. Le second point est l’efficacité de cette organisation.
Le Fonds Arménien a été le point de convergence des collectes de plusieurs autres organisations humanitaires, le système faisant ainsi la démonstration de la puissance de l’Unité.
Le troisième est le potentiel financier immense que cette collecte révèle, potentiel dont l’Arménie va avoir un besoin urgent dans les années qui viennent.
En effet, la crise ukrainienne a révélé l’extrême fragilité de l’Arménie, dépendante de la Russie dans quasiment tous les secteurs vitaux.
Pour l’heure, c’est le domaine alimentaire qui est le plus critique. L’Arménie consomme environ 400 000 tonnes de céréales par an, pour l’alimentation humaine comme pour l’alimentation animale. En 2021, sa production nationale a été d’environ 130 000 tonnes, soit un manque de 270 000 tonnes de grains.
En année ordinaire, la différence – c’est-à-dire les deux tiers de sa consommation – vient de Russie. Or la guerre en Ukraine contraint son fournisseur à constituer des stocks et à diminuer, voire à arrêter, ses exportations.
Si les exportations russes vers l’Arménie ralentissent, voire s’arrêtent, le prix de l’alimentation humaine à base de blé sera inaccessible à, au moins un Arménien sur quatre, étant donné que, selon la Banque Mondiale, plus de 25 % des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté en Arménie. Un récent rapport du gouvernement français évalue à 42 % la part de la population qui souffrira d’une pénurie alimentaire en Arménie. Dans le domaine de l’élevage, l’alimentation étant à base de méteil (un mélange de grains), nombre d’éleveurs seront contraints d’abattre leurs bêtes faute de pouvoir les nourrir. Du fait de l’abattage, la quantité de viandes et de produits de laitage diminuera à son tour. En clair, sans un redressement rapide et drastique de l’agriculture arménienne, le pays risque de se trouver confronté à la plus grande crise alimentaire de son histoire.
Pourtant, cette extrême dépendance vis-à-vis de la Russie pourrait être compensée très vite, pour autant que l’Arménie ait les moyens de remettre en culture les terres en jachère.
Selon le site Civilnet, près de la moitié des terres cultivables sont rendues à la friche du fait de l’exode rural. Près de 110 000 hectares seraient à l’abandon. Les remettre en culture suppose d’abord une préemption de l’État,
ou d’une agence ad hoc, sur ces terres et un regroupement pour rendre les exploitations rentables. Elle demande ensuite une incitation financière au retour à la terre des jeunes sans travail ou aux Karabaghtsis déplacés en quête d’un domaine agricole à exploiter. Elle suppose ensuite un système de crédit à des taux préférentiels dont une partie des intérêts seraient pris en charge par l’État. Cette politique a été celle de la France dès le retour de De Gaulle au pouvoir, sur la base du rapport Rueff-Armand de 1959, mis en pratique par la loi d’orientation agricole de 1962, dite Loi Pisani.
En 1959, la France produisait 8,1 millions de tonnes de blé ; en 2021, elle en a produit 36 millions. Les rendements sont passés d’environ 8 quintaux/hectare en 1959 à 73 quintaux/hectare en 2021. L’Arménie peut, et doit, obtenir des résultats comparables.
Il en va de son indépendance et peut-être au-delà, de son existence. Pour atteindre de tels résultats, il faut d’abord pour l’Arménie un Rapport Rueff-Armand définissant les grandes lignes de la réforme
de l’agriculture ; il faut ensuite une loi d’orientation générale sur le modèle de la loi-cadre Pisani de 1962 ; il faut enfin des
fonds pour le rachat des terres en jachères, les incitations au retour à la terre, la formation des jeunes agriculteurs aux méthodes modernes dans des lycées agricoles et un fonds de crédits préférentiels pour l’achat du matériel, des équipements de stockage des récoltes et des semences.
Si la partie législative dépend des pouvoirs publics, en revanche la partie financement est à la portée du Fonds Arménien et de l’ensemble des fondations ou organisations qui ont financé l’effort social pendant la guerre. Mais un plan de redressement à moyen et long terme pour l’Arménie suppose une régularité et une continuité dans le financement. Aujourd’hui, par les collectes ponctuelles, l’apport financier de la Diaspora est aléatoire et ne permet aucun plan à moyen ou long terme. Les plans de redressement exigent des revenus prévisibles sur plusieurs années. C’est pourquoi la réussite de l’Arménie exige que l’on passe dans le futur immédiat d’une donation aléatoire des donateurs à une contribution annuelle fixe et récurrente. Une sorte d’impôt volontaire des donateurs de la Diaspora.
Conserver ensuite l’unité organisationnelle mise en place pendant la guerre ; enfin mobiliser le potentiel immense de la Diaspora en lui présentant un projet clair et à long terme. Ainsi nous réaliserons le cauchemar de l’Azerbaïdjan, collecter au minimum 170 millions USD par an. Ce n’est qu’au prix de ce changement que l’Arménie passera de la précarité à la sécurité et de la pénurie à l’indépendance.