Les Actus
Lettre à Monsieur Charles Michel
Président du Conseil Européen
[22/09/2022] – Bédros Terzian
Monsieur le Président,
Nous sommes les descendants de survivants du génocide perpétré par le régime jeune-turc en 1915, établis en Europe voici un siècle. Encore porteurs des traumas engendrés par ce Crime suprême, nous, citoyens français et européens, observons avec la plus grande inquiétude les événements actuels : tout porte à croire, en effet, qu’un nouveau génocide des Arméniens se prépare, prolongeant le processus enclenché en 1915 contre nos aînés. L’Arménie est à nouveau menacée d’anéantissement, par les gouvernements turc et azéri coalisés. Les troupes turco-azéries sont d’ores et déjà massées à ses frontières, avec des avant-postes implantés dans le territoire arménien lui-même, prêtes à passer à l’attaque. Le 20 septembre 2022 au matin, les autorités de Bakou ont publié le nouveau drapeau des régions sud de l’Arménie qu’ils convoitent et leur ont même donné un nom : « République du Goycha-Zangazur ». Cela se fera au prix d’un nettoyage ethnique. Afin de terroriser la population, l’armée azérie a commis des atrocités filmées en vidéos et diffusées sur les réseaux sociaux. Lors de la « guerre des 44 jours », en 2020, on y voyait un groupe de soldats azéris hilares égorgeant un berger de l’Artsakh, cette antique terre arménienne aujourd’hui amputée et encerclée par les forces azéries ; ces derniers jours, ce fut au tour d’une soldate de l’armée arménienne d’être filmée alors qu’elle était violée et démembrée, avant d’être assassinée. Une barbarie qui renvoie aux crimes perpétrés en 1915.
L’Arménie, en tant que pays, est menacée de disparition. Le peuple arménien est menacé d’extermination sur ses terres. Devant cette menace, les pays occidentaux et particulièrement ceux d’Europe portent une responsabilité historique. Comme en 1915, par leur passivité, ils risquent de se rendre coupables du crime de silence.
En nous forçant à l’optimisme, nous pouvons, certes, espérer que la visite récente de la Présidente de la chambre des Représentants des États-Unis, Madame Nancy Pelosi, en Arménie, engendrera un répit dans les attaques azéries. Mais tous les indices montrent que l’Azerbaïdjan et la Turquie préparent une nouvelle guerre. Ainsi, le 17 septembre, jour d’arrivée de Madame Pelosi en Arménie, Bakou a annoncé une augmentation de 20 % de son budget militaire à 3,1 milliards d’euros. Cinq fois plus que le budget de défense de l’Arménie. A la mi-septembre 2022, l’armée azérie a conquis des positions qui préludent clairement à une invasion à grande échelle de l’Arménie. L’Azerbaïdjan continue de concentrer des troupes sur la ligne de front, du nord au sud de l’Arménie. C’est aujourd’hui que nous devons agir pour sauver ce pays qui défend les valeurs de l’Europe aux frontières de notre continent. Demain risque d’être trop tard. « Rien ni personne ne pourra nous arrêter » a déclaré Ilham Aliyev hier, 21 septembre, jour anniversaire de l’indépendance de l’Arménie.
L’Azerbaïdjan profite de la crise énergétique née de la guerre en Ukraine : il est courtisé pour son pétrole et son gaz. Le 18 juillet 2022, la présidente de la Commission européenne, Madame Ursula von der Leyen, se rendait à Bakou pour quémander des livraisons supplémentaires d’hydrocarbures. Or, on soupçonne fortement l’Azerbaïdjan de commercialiser du pétrole russe, car alors que sa production diminue, elle augmente ses exportations. Mêmes soupçons pour le gaz. Mais la Commission européenne ferme les yeux sur ces possibles détournements des sanctions européennes. Bruxelles a-t-elle opté pour une diplomatie du renoncement ? A-t-elle oublié que la Turquie, qui n’a jamais hésité à pratiquer le chantage diplomatique à l’encontre de l’Europe, est le passage obligé de ces hydrocarbures ?
Nous, Fonds Arménien de France, impliqué depuis 30 ans dans l’aide humanitaire à l’Arménie, lançons un appel urgent pour que l’Europe mette tout son poids dans la balance pour éviter ce qui risque de devenir la plus grande catastrophe humanitaire de ce début de siècle.
Monsieur le Président, dénoncez l’agression turco-azérie. Opposez-vous à la diplomatie du renoncement. Engagez-vous dans la défense de l’intégrité territoriale et de l’indépendance de l’Arménie. Contribuez au renforcement de l’Arménie sur tous les plans. Accélérez le resserrement de tous les liens avec l’Arménie, avec pour horizon une adhésion de ce pays à l’Union européenne. Limitez la dépendance énergétique de l’Europe à l’égard de l’Azerbaïdjan et de la Turquie. Ces deux pays ne sont pas des partenaires fiables.
L’Azerbaïdjan et la Turquie ont promis la disparition de l’Arménie et du peuple arménien. Un nouveau génocide est possible. Les dirigeants turcs et azéris ne s’en cachent pas. Aliyeva publiquement traité les Arméniens de « chiens » qu’il faut chasser de la région !
Chacun de nous est responsable devant l’Histoire. C’est pourquoi nous vous demandons avec insistance, Monsieur le Président, de mettre tout en œuvre, pour que vive l’Arménie, un pays démocratique aux portes de l’Europe.
Pour le Fonds Arménien de France
Son président, Pierre BédrosTerzian