Les Actus
Le Fonds Arménien de France
saisit Ursula von der Leyen
du blocus du Haut-Karabagh
[23/12/2022] – Fonds Arménien de France
Devant l’extrême gravité de la situation humanitaire en Artsakh (Haut-Karabagh), le Fonds Arménien de France a saisi de cette question madame Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, en lui demandant d’agir de toute urgence pour une levée immédiate du blocus imposé par l’Azerbaïdjan.
Ci-jointe la lettre envoyée à cet effet.
Celles et ceux qui souhaitent soutenir cette initiative peuvent de leur côté écrire à Madame von der Leyen à l’adresse : bjoern.seibert@ec.europa.eu
Et diffuser notre lettre sur leurs réseaux sociaux.
Madame Ursula von der Leyen
Présidente de la Commission européenne
Rue de la Loi – 1049 Bruxelles – Belgique
Objet : Urgence sécuritaire au Haut-Karabagh
Paris, le 20 décembre 2022
Madame la Présidente,
Le blocus imposé en ce mois de décembre par l’Azerbaïdjan à la population arménienne du Haut-Karabagh suscite de profondes inquiétudes. D’abord par la gravité du drame humain qui se joue là-bas, en plein hiver, mais aussi par les signes de faiblesse de l’Union européenne face à la Turquie et à l’Azerbaïdjan.
Les 120 000 habitants du Haut-Karabagh sont pris en otages par un pays qui fait géographiquement partie de l’Europe, mais dont les agissements sont aux antipodes des valeurs qui guident notre civilisation. Prisonniers dans leur enclave, ils dépendent des approvisionnements extérieurs pour une large partie de leurs besoins alimentaires, médicaux et énergétiques. Le « corridor de Latchin » vers l’Arménie est la seule voie de communication du Haut-Karabagh, car Bakou s’oppose à l’utilisation de l’aéroport civil de ce territoire.
Le blocage de ce corridor par l’Azerbaïdjan crée les conditions d’une grave crise humanitaire, comme l’ont reconnu plusieurs hauts responsables occidentaux. Pour sa part, l’Institut Lemkin pour la Prévention des Génocides a lancé plusieurs « alertes rouges », en déclarant que le blocus « s’inscrit dans le cadre plus vaste d’un schéma génocidaire contre l’Arménie et les Arméniens par le régime de l’Azerbaïdjan ».
L’Azerbaïdjan viole ses engagements du 9 novembre 2020 de « garantir la circulation sécurisée des citoyens, véhicules et cargaisons dans les deux sens le long du corridor de Latchin ». Les hommes qui ont installé le blocus ont été identifiés : il s’agit de militaires azéris déguisés en civils et de militants de l’organisation extrémiste panturque des Loups-Gris. L’Azerbaïdjan les présente comme des « activistes écologiques ». Ces faits révèlent au monde civilisé le vrai visage d’un État qui, pour ne pas respecter ses engagements internationaux, n’hésite pas à se servir de subterfuges.
Un comportement qui devrait inquiéter au plus haut point l’UE, qui envisage d’accroître sa dépendance énergétique à l’égard de ce pays et de son « État frère », la Turquie.
Au regard de la gravité de la situation, la déclaration d’un porte-parole de l’UE, « appelant » le 13 décembre les autorités azéries à « assurer la liberté et la sécurité de mouvement le long du « corridor de Latchin », est d’une inquiétante insuffisance. De même, lorsque le territoire souverain de l’Arménie a été violé par l’Azerbaïdjan, en septembre dernier, l’UE est restée très frileuse dans ses réactions. A la suite de notre courrier du 22 septembre 2022 sur ce sujet, le Président Charles Michel a répondu, le 27 octobre 2022, que « le partenariat énergétique » avec l’Azerbaïdjan, que vous avez mis en place le 18 juillet 2022, Madame la Présidente, à Bakou, « n’influence en rien la position de l’UE » qui se veut « équilibrée », car cela lui permet « d’être considérée comme un médiateur impartial ». Une telle approche dénote une grande incompréhension historique de la politique de la Turquie et de l’Azerbaïdjan à l’égard de leurs voisins et de leurs partenaires, y compris des États de l’UE. Pour une bonne part, la politique de l’Azerbaïdjan à l’égard de l’Arménie échappe à la rationalité diplomatique. Chaque jour, la propagande d’État azérie répand dans la population et dans les écoles une idéologie de haine envers les Arméniens, qu’Ilham Aliyev en personne a qualifiés de « chiens ». ’officier azéri Ramil Safarov, condamné à perpétuité en Hongrie pour avoir décapité un co-stagiaire Arménien dans son sommeil, a été accueilli en héros dans son pays et élevé en grade. Les militaires azéris qui ont torturé leurs prisonniers de guerre ont été récompensés, comme l’ont été ceux qui ont égorgé de paisibles bergers, violé et dépecé une soldate tombée entre leurs mains, fusillé des soldats qui se sont rendus. Avec le blocus, un nouveau palier a été atteint, car Bakou menace maintenant d’annihilation la population du Haut-Karabagh à laquelle il promettait, il y a quelques semaines encore, « les mêmes droits que ceux des autres citoyens de l’Azerbaïdjan ».
Sans doute certains peuvent penser, à Bruxelles, que l’UE sera toujours assez forte devant la Turquie et l’Azerbaïdjan pour ne pas se laisser dicter sa conduite. C’est trop présumer de sa force. L’Europe a déjà cédé devant la Turquie lors du chantage aux réfugiés syriens. Elle est restée passive face à la délimitation unilatérale par la Turquie de ses eaux en Méditerranée. Elle est passive alors que, chaque jour, les avions et les navires de guerre turcs violent les espaces aériens et maritimes de la Grèce et de Chypre. Quelle sera sa marge de liberté lorsque la Turquie, que Vladimir Poutine veut transformer en hub, assurera le transit de 35 à 40 % du gaz qu’elle importera par gazoducs. L’UE aura alors troqué sa dépendance gazière à la Russie contre une dépendance à l’égard de la Turquie qui est tout sauf un pays fiable. Déjà, Bakou et Ankara assurent le transit de 12 millions de tonnes de pétrole brut russe par an (d’une valeur de USD 7 milliards) via l’oléoduc BTC. Et l’Azerbaïdjan achète à la Russie près de la moitié du gaz qu’il vend à l’Europe via le gazoduc TAP.
Madame la Présidente, avec tout le respect dû à votre personne et à votre fonction, il est temps pour l’Europe d’agir concrètement. Il faut rompre le silence. L’Europe doit exiger de Bakou un comportement respectueux des valeurs de l’UE s’il veut de son partenariat. L’Azerbaïdjan dépend de l’Europe bien plus que l’Europe ne dépend de lui : il n’a pas d’autre marché pour écouler son gaz, alors que l’UE s’approvisionne auprès d’une trentaine de sources différentes.
Passés maîtres dans l’art de conjuguer les faits accomplis avec les marchandages, l’Azerbaïdjan et la Turquie tentent de monnayer la levée du blocus imposé au Haut-Karabagh contre l’obtention d’un corridor extraterritorial en Arménie, dans le sud de la province du Syunik, qui est frontalière de l’Iran. S’ils obtenaient gain de cause, il ne resterait alors à l’Arménie qu’une seule frontière ouverte, celle de la Géorgie. L’Europe est directement concernée, car aujourd’hui l’Arménie et la Géorgie offrent sa seule voie de communication terrestre avec l’Asie qui soit indépendante de la Russie et de la Turquie. Si le sud de l’Arménie était annexé par l’Azerbaïdjan, toutes les communications terrestres de l’Europe avec l’Asie seraient tributaires de l’espace turcique. C’est pourtant l’objectif officiel de la feuille de route actuelle de l’Organisation des États Turciques. Si certains en Europe sont tentés de sacrifier l’Arménie et le Haut-Karabagh pour bâtir un partenariat énergétique avec l’Azerbaïdjan, ils doivent savoir qu’ils n’en auront pas fini pour autant avec la menace panturque, car celle-ci est tournée vers l’ouest également. Son volet maritime « Mavi Vatan » (Patrie bleue) vise à annexer les îles grecques de la mer Égée jusqu’au sud-est de la Crète. Quant à son volet terrestre, dénommé « Grande Turquie », il inclut la moitié de la Bulgarie, tout Chypre, de larges pans de l’Arménie, de la Géorgie, de l’Irak, et de la Syrie ainsi que le nord de la Grèce. C’est la stratégie néo-ottomane revendiquée par le président turc Recep Tayyib Erdogan.
Ce serait une grave erreur que de penser que l’Arménie et le Haut-Karabagh sont des pions qu’on peut sacrifier sans inconvénient. Ce sont des bastions avancés de l’Europe qu’il faut défendre en tenant le langage de la fermeté face à la Turquie et à l’Azerbaïdjan, si l’on veut stopper les politiques panturques de ces deux Etats. L’impunité des cadres Jeunes-Turcs qui ont mis en œuvre le génocide de 1915 pèse encore de tout son poids dans la politique menée par Ankara et Bakou. L’ignorer aujourd’hui peut engendrer de nouveaux drames humains. Voilà pourquoi nous vous demandons, Madame la Présidente :
- D’annoncer clairement que l’Azerbaïdjan encourra des sanctions s’il ne lève pas immédiatement le blocus imposé au Haut-Karabagh ;
- D’intercéder auprès des pays concernés, au premier plan desquels l’Azerbaïdjan, pour la réouverture de l’aéroport de Stépanakert et la garantie de la sécurité des liaisons aériennes du Haut-Karabagh ;
- D’exiger de l’Azerbaïdjan et de la Turquie un engagement solennel au respect de l’intégrité territoriale de l’Arménie et des frontières administratives du Haut-Karabagh ;
- De reconnaître le Haut-Karabagh comme une entité politique indépendante et de faire de cette reconnaissance un instrument de négociation en vue de l’établissement d’une paix durable dans la région ;
- D’œuvrer en vue d’un mandat international à des forces d’interposition autour du Haut-Karabagh et le long du « corridor de Latchin » ;
- D’exiger le retrait inconditionnel de l’armée azérie – qui occupe des positions à l’intérieur du territoire souverain de l’Arménie – jusqu’aux frontières de 1991 entérinées par les accords d’Alma-Ata et de s’engager sérieusement dans les négociations visant à la ratification d’un traité de paix avec l’Arménie ;
- D’exiger de l’Azerbaïdjan la libération de tous les prisonniers civils et militaires.
Chacun de nous est responsable de ses actes devant l’Histoire. Il faut mettre tout en œuvre pour éviter un nouveau génocide et pour que les Arméniens du Haut-Karabagh puissent exercer leur droit à disposer d’eux-mêmes conformément à l’Article 1.2 de la Charte des Nations Unies.
Respectueusement,
Pour le Fonds Arménien de France,
son président,
Pierre Bédros Terzian